11 juin 2009
François Parenteau
Depuis l'apparition du Web participatif, le monopole des médias de masse sur la production de l'information tend à diminuer. De plus en plus d'amateurs s'emparent de l'information et produisent des nouvelles. Alors que plusieurs journaux ferment leurs portes, la popularité des sites d'information en ligne ne se dément pas. Au même moment, le cyberjournalisme citoyen gagne du terrain et impose de nouvelles règles de jeu.
Samia Mihoub, chargée de cours à la Faculté des lettres et sciences humaines, étudie de près la question. En collaboration avec Serge Proulx, professeur à l'École des médias de l'UQAM, elle a entrepris l'an dernier une étude postdoctorale qui s'intitule Le journalisme citoyen sur Internet : genèse, promesses et limites. Sa recherche l'a amenée à analyser quatre médias citoyens francophones, soit le Centre des médias alternatifs du Québec et le CentPapiers au Québec, ainsi que Rue89 et AgoraVox en France.
Phénomène en évolution, le cyberjournalisme citoyen continue à prendre de l'ampleur. L'accès facile et peu coûteux à Internet donne une grande visibilité. «Cette situation offre une plus grande proximité et permet une plus grande participation des citoyens dans la prise de décisions sociétales. Les gens font entendre leur voix», dit Samia Mihoub.
Le contenu du Centre des médias alternatifs du Québec se base sur des informations laissées pour compte et passées sous silence par les médias de masse. Selon ses membres, ces nouvelles sont importantes pour le citoyen. Associé à Indymédia-Québec, son slogan est Ne pas haïr les médias, mais être nous-mêmes les médias, d'où l'objectif de les remplacer, ou du moins, d'apporter des éléments nouveaux dans le domaine médiatique.
Au même moment, une crise de confiance ébranle les médias de masse. «En tant qu'entreprises, les médias de masse ont parfois des intérêts croisés. À cela s'ajoutent l'influence des publicitaires, la concentration des médias et le risque de l'uniformisation des contenus. Pour plusieurs, le cyberjournalisme citoyen représente l'option parfaite à cette situation», explique la chercheuse.
Un important défi pour le journalisme citoyen est de se distinguer des médias de masse, donc de présenter un contenu différent. Cela est très difficile à réaliser parce que ce sont les médias de masse qui font l'actualité. «Pourquoi ne parle-t-on plus du Darfour? Est-ce parce que tout va bien dans cette région du Soudan ou parce que cette question n'est plus une priorité pour les médias de masse?» questionne la chercheuse.
«Les médias de masse sont encore les dépositaires de l'ordre du jour. Ils décident quels événements doivent être connus du public. Les médias citoyens ont beaucoup de difficulté à s'affranchir de ce monopole. Ils innovent en offrant des analyses et des angles de traitement différents», précise Samia Mihoub.
D'abord critiqués pour leur manque de crédibilité, les médias citoyens ont fait beaucoup d'efforts pour assurer un standard élevé de qualité. «Ils sont conscients qu'ils doivent réglementer le contenu et garantir la véracité de l'information parce que n'importe qui ne peut pas communiquer n'importe quoi», soutient la chercheuse.
D'ailleurs, AgoraVox vient de se doter d'une politique éditoriale. «En s'adaptant selon les critiques, le danger pour les médias citoyens serait peut-être de ressembler de plus en plus aux médias traditionnels», ajoute Samia Mihoub.
Le financement constitue un autre enjeu important pour le cyberjournalisme citoyen. L'aspect bénévole complique le recrutement. De plus, la publicité a fait son apparition récemment alors qu'au départ, plusieurs responsables de médias citoyens préféraient éviter de vendre de l'espace publicitaire pour préserver une certaine indépendance. Seul le site du Centre des médias alternatifs du Québec a maintenu sa position initiale.
«Un des objectifs des médias citoyens est de ne pas être dépendants de sources extérieures comme la publicité, qui pourrait influencer le contenu. Peut-on dire qu'ils sont encore des médias indépendants?» s'interroge Samia Mihoub.
Selon elle, on se dirige vers une coexistence entre le cyberjournalisme citoyen et les médias de masse : «D'un côté, les médias de masse ne peuvent plus mettre la tête sous la table. Ils font de plus en plus appel à la population pour recueillir de l'information. Cette contribution citoyenne, grâce à la nouvelle technologie, leur est très utile. De plus, comme les médias de masse savent qu'une crise de confiance pourrait les décrédibiliser auprès de leur public, ils profiteraient à prendre en compte le mouvement citoyen.»
De l'autre côté, les médias citoyens dépendent des médias de masse pour connaître les nouvelles du jour et pour élaborer un cadre éthique à leur pratique. «De plus en plus de journalistes professionnels participent à l'élaboration du contenu des médias citoyens, dit Samia Mihoub. Ils sont sollicités pour leur savoir-faire et leur déontologie. Nous observons l'évolution de ce phénomène, mais la tendance nous suggère que les deux prennent conscience de la nécessité de coexister.»
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